Souvenir d’un petit matin à Aberdeen
Toute la ville est endormie.
Au loin s’éveillent quelques cris
Qui étonnent le silence rouillé
De ce petit matin mouillé.
Vieilles carcasses de fer alanguies
Qui balancent leurs flancs alourdis,
Gémissant aux intenses promesses
D’une mer qui leur caresse les fesses,
Les bateaux d’Aberdeen attendent
Que la marée enfin se rende.
Les rues du centre sont désertées
Par tous les bruits de la cité,
Livrées aux seuls oiseaux de mer
Que le vent d'Est pousse dans les terres,
Goélands repus de déchets
Récupérés dans les filets,
Véritables îles aux trésors
Dispersées sur les quais du port.
Le granite mouillé des façades
Est une invite à la ballade,
A errer le long des trottoirs,
Découvrir de nouveaux miroirs
Et jouir des reflets d’argent
Du jour qui se lève à l’Orient.
Quelques ombres comme moi se glissent
Sans attendre que la nuit palisse,
Soit pêcheurs regagnant leur bord
Pour affronter la Mer du Nord,
Soit vêtus de leur duffle-coat,
Quelques marins des supply-boats
Qui font la richesse de ce port
Enivré aux travaux offshore,
Au cœur des liaisons journalières
Avec les plateformes pétrolières.
J’aime sentir le parfum de mer
Qui accompagne ces hommes de fer,
Mélange d’iode et de gaz-oil
Accroché à leur sac de toile.
Ils portent une aura d’aventure
Comme d’autres une simple vêture
Et arborent de fiers tatouages
Comme on en voit peu à la plage.
Loin d’être nés à Aberdeen
Ils sont venus ancrer leur spleen
Apporter un supplément d’âme
D’Oslo ou encore d’Amsterdam.
Moteur ronflant, cornes brumant
Leurs navires quittent le port dormant
Tandis que la lumière du jour
S’étend enfin tout alentours
Révélant toutes les variétés
Des gris qui composent la cité.
Nulle part au monde, je n’ai pu voir,
Ni même en caresser l’espoir,
Un éclat bleu si rare de ciel
Où s’épanouit le soleil
Que les ardoises des toits reflètent
En se donnant un air de fête
Faisant oublier la grisaille
Qui toujours emporte la bataille.