L'enfant soldat
Pas plus haut que trois pommes,
Ce tout petit des hommes
A le regard perdu
Des enfants de la rue,
Les frêles genoux cagneux
D'un pauvre miséreux
Et la poitrine creuse
D'une silhouette osseuse.
Pendant que ses parents
Vont cultiver des champs
Où même entre les pierres,
On ne trouve plus de terre,
Il erre comme un jeune chien
Qui a perdu les siens.
Il n'y a plus d'école,
Pas plus que de pétrole,
Dans ce pays sauvage
Où rien ne se partage,
Où l'on meure au matin
Pour un morceau de pain,
Où règne le pillage,
Où l'on brûle les villages,
Où il n'y a plus d'église,
Où Dieu n'est plus de mise.
Autour de lui s'étalent,
Pour lui c'est très banal,
Les corps déchiquetés
Avec férocité
Des soldats ennemis
Et ceux de ses amis.
Vêtu de ses guenilles
Et d'une simple béquille
Qu'il garde comme un trésor
Plus précieux que de l'or,
Il rejoint les soldats
Qui préparent les combats,
Car depuis qu'il est né,
Les armes sont ses jouets.
C'est sur un champ de tir
Qu'il a appris à lire,
Dans le vol des corbeaux
Et le bruit des roseaux,
D'où va venir la mort
Et quel sera son sort.
Pas plus haut que trois pommes,
Ce tout petit des hommes
Ne connaît de la vie
Que ce qu'on lui a dit,
Que pour être bon apôtre
Il faut tuer les autres,
Qu'il faut avoir la haine
Et que ça vaut la peine
De mourir au combat,
C'est un enfant soldat.
Prisonnier d'une guerre
Qui a détruit sa terre,
Il a perdu conscience
De toute son innocence
Et marche sur les traces
Que fuient même les rapaces,
D'une mort qui se cache
Encore mieux qu'un apache.
Toujours sur le qui-vive,
Il avance sur la rive
Où les derniers combats
Ont fait bien des dégâts,
Où des corps torturés,
Visages défigurés,
Gisent le ventre ouvert,
Parfois couverts de vers.
Le fleuve charrie du sang,
Le terrain est puant,
Les arbres eux-mêmes pleurent
La ruine de leur demeure,
Cette vision de l'enfer
Qu'est devenue leur terre.
Pourtant dans ce mouroir,
L'enfant garde un espoir,
Il a toujours au coeur
Une flamme de bonheur
Cherchant à s'allumer
Dès qu'il se sent aimé.
Une simple poupée brisée
Gît sur l'herbe rasée,
Il est seul à la voir
Dans tout ce désespoir
Et elle réveille en lui
L'enfance qu'il avait fuie.
Un sourire s'esquisse
Sur ses joues encore lisses,
Il s'écarte du chemin
Et de tous ses défunts,
Se penche sur le jouet
Dont un bras est cassé,
Et quand il s'en saisit
C'est la fin de la partie.
Cachée sous la poupée,
Dans le dos découpé,
Une mine était placée
A la poudre bien tassée
Qui lui saute au visage
Pour mieux faire ses ravages.
Dans ce monde bien blasé
Qu'on dit civilisé,
Où l'on fabrique des bombes
Pour mieux remplir les tombes,
Que l'on vend aux états
Aux chefs renégats,
C'est ainsi qu'on abat
Tous les enfants soldats.
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